jeudi 22 janvier 2009

Me voici sur facebook

A très vite !!!

mardi 6 janvier 2009

Première fois au ciné...

Mon premier souvenir de cinéma c'était à 6 ans, mes parents m'ont emmené voir un film de science-fiction "le Trou Noir"... Je me souviens l'ambiance d'un petit cinéma de province avec sa salle unique, le distributeur de Kit Kat dans l'entrée et le délicieux chocolat. Le meilleur Kit Kat de ma vie je crois ! Lol. Et puis aucun souvenir des humains de l'histoire mais un très clair (faut le faire dans un trou noir) du vaillant petit robot Bob (rien à voir avec cet crétin d'éponge) qui est un modèle de dévouement et d'humanité... Un beau et grand souvenir même si je me souviens aussi avoir pleuré. Depuis j'ai refusé de revoir le film ; trop peur que cela ne détruise la magie de mon souvenir d'enfance. Et vous ? Votre pemière fois au ciné ?

lundi 5 janvier 2009

Les Nalistanaises

A partir de maintenant ce sera moi qui décrirai les pays. Et toi, dans tes voyages, tu vérifieras si ils existent. Mais les villes que le Pénitent visitait étaient toujours différentes de celles que l'empereur imaginait. Et pourtant, j'ai bien construit en esprit un modèle de ville à partir duquel déduire toutes les villes possibles. Il contient tout ce qui répond à la norme. Comme les villes qui existent s'éloignent à des degrés divers de la norme, il me suffit de prévoir les exceptions à la norme et d'en calculer les combinaisons les plus probables. Moi aussi j'ai pensé à un modèle de ville duquel je déduis toutes les autres, soupira ArnO. C'est une nation qui n'est faite que d'exceptions, d'impossibilités, de contradictions, d'incongruités, de contre-sens. Si une province ainsi faite est tout ce qu'il y a de plus improbable, en abaissant le nombre des éléments anormaux la probabilité grandit que ce lieu existe véritablement. Par conséquent, il suffit que je soustraie de mon modèle des exceptions, et de quelque manière que je procède j'arriverai devant l'une des contrées qui, quoique toujours par exception, existent. Mais je ne peux pas pousser mon opération plus loin qu'une certaine limite: j'obtiendrais des peuples trop vraisemblables pour être vraies.
C’est ainsi qu’égaré loin de la Tatianide et ses steppes dures et arides, laissant dans mon dos la seule ville où j’avais eu mon foyer, je traversais des plaines inhospitalières. La ville frontière de Grôssmordôm, qui signifiait dans le vieux langage des Orques de Barbarie « la ville du Grand Festin », me vit entrer en Pémagnie, puis chassé par les femelles adoratrices de la déesse –serpentine Hâ-dî-Nâh, j’arrivais en lambeaux aux confins des Terres-Sanglantes de Capulie. A dos d’éléphant je finis par gagner le Mont Ubris point culminant de la Besombie, comme jadis Hannibal dans les Alpes. Puis, enfin après mille perigrinations je finis par atteindre ce pays d’or et de miel, que les anciens ont nommé El Dorado, ou Argolide. Le peuple de femmes qui y vivait n’avait rien des farouches amazones mais bien au contraire dispensaient autour d’elles et entre elles douceur, amour et joie de vivre. Alexandre le Grand qui fut le seul homme avant moi à y porter ses pas et son regard l’avait baptisé le Nalistan et sa capitale légendaire Evanonochia. Ici pour la première fois il aima une femme, ici pour la première fois il hésita à arrêter sa course. La légende prétend que le présage d’un yéti ayant regagné sa caverne en plein printemps lui fit croire les augures et la nécessité de quitter ce havre de grâce pour la folie d’un départ vers les Indes. Fatal, présage, dernier voyage.
A l’abri du monde merveilleux et magique où habitent les Nalistanaises, les girafes à couflets et les agneaux ventoliniques, l’esprit prend sa revanche sur la réalité hostile et redécouvre le monde et la vie derrière le paravent sécurisant de l’art et de la poésie.
Sans motifs apparents, tout à coup une Nalistanaise se met à pleurer, soit qu’elle voie trembler une feuille ou tomber une poussière, ou une feuille en sa mémoire tomber, frôlant d’autres souvenirs divers, lointains, soit encore que son destin d’être, en elle apparaissant, la fasse souffrir.
Personne ne demande d’explications. On comprend et par sympathie on se détourne d’elle pour qu’elle soit à son aise.
Mais, saisis souvent par une sorte de décristallisation collective, des groupes de Nalistanaises, si la chose se passe au thé, se mettent à pleurer silencieusement, les larmes brouillent les regards, la salle et les tables disparaissent à leur vue. Les conversations restent suspendues sans personne pour les mener à terme. Une espèce de dégel intérieur, accompagné de frissons, les occupe toutes. Mais avec paix. Car ce qu’elles sentent est un effritement général du monde sans limites, et non de leur simple personne ou de leur passé, et contre quoi rien, rien ne se peut faire.
On entre, il est bon qu’on entre ainsi parfois dans le Grand Courant, le Courant vaste et désolant.
Tels sont les Nalistanaises, mi granit, mi lave, mi Samnites, mi slaves, sans antennes, mais au fond mouvant.
Puis, la chose passée, elles reprennent, quoique mollement, leurs conversations, et sans jamais une allusion à l’envahissement subi.

Pensée du matin

"Personne n'accepte de conseils ; mais tout le monde acceptera de l'argent : donc l'argent vaut mieux que les conseils."
Jonathan Swift. Instructions aux domestiques

jeudi 1 janvier 2009

Mes voyages phantasmatiques

Evabad : Capitale du Nalistan

Au-delà des cimes enneigées de la grande chaîne des Monts de Granit se trouve Evabad. La capitale légendaire du Nalistan qui se trouble en contrebas du cœur battant de lave rouge carmin du volcan Eilahtan qui ne se départi de son calme olympien que lorsqu’il est secoué de façon centennale de soubresauts fertiles. Ces éruptions révérées par les Nalistanaises ne se produisent que lorsque là terre exprime son intime besoin de se recouvrir comme un manteau des lapilli au gris nourricier. Mal nécessaire, comme l’homme, Mal porteur de vie comme l’homme, Mal qui apporte sa souillure autant que sa promesse d’avenir et de renaissance. Volcan, mâle nécessaire de la terre, qui n’apporte la paix et la prospérité qu’une fois éteint et consumé.
Le voyageur égaré du haut du promontoire est comme frappé par la situation incroyable d’une capitale qui au contraire de toutes les autres capitales ne semble pas vouloir attirer à elle les quatre vents du globe mais qui au contraire semble vouloir se faire oublier. Rester en elle, rester entre elle. Une capitale qui n’attend du pouvoir qu’elle a que le droit unique de n’être pas commandé à partir d’aucun autre lieu, ni en ce pays ni ailleurs. Une métropole qui n’a pas la prétention de compéter avec ses sœurs ennemis ou ses rivales mais juste d’aspirer à un repos et une tendre mélancolie joyeuse.
On n’accède d’ailleurs à Evabad, soit par le chenal, soit par le cheval. Le port s’étire au long du rivage, d’immenses grues en bois de rouvre éventrent et déshabillent en toute impudeur des bateaux, gabares et autres felouques déposant sur les quais, bois précieux de santal, senteurs ultramarines, marines qui comme partout ici ont remplacé les hommes qui n’existent plus. Tout se fait, tout se réussit et tout cela sans le moindre homme qui vive. Le pénitent, lui, privé de ses femmes depuis le début de son voyage, deux ans déjà, se sent comme rassuré par ce monde ou il n’est rien et où parce qu’il n’est rien il sait que l’on n’attendra rien de lui. L’angoisse primitive qui l’avait étreint en entrant, sacrilège, au Nalistan, celle d’être au mieux incongru, ou considéré comme menaçant voire lui-même menacé cette angoisse n’avait plus de sens à Evabad. Ici, la force et l’indépendante puissance des femmes de la Cité lui semblait tellement écrasante qu’il s’avait qu’elles n’auraient aucun besoin de l’écraser. La mouche vit en bonne intelligence avec le lion car le lion ne connaît pas de risque avec la mouche. Sortant de son songe, le pèlerin des steppes aperçu au loin un voilier gonflant ses voiles azurées frappé du macaron pistache étendard des bégums depuis la fondation de la dynastie. Des voiles non encore déployées mais déjà bouffies comme les joues d’un enfant. La coquille de noix hoquetante appâtait le regard du voyageur avant de s’élancer au-delà de la ligne claire de ses yeux. Le chenal était comme obstrué par un balai myrmidéen de bateaux fourmis s’affairant pour venir nourrir la reine des villes.
La Ville fut fondé sur trois monts… A l’est le plus haut d’un point de vue topographique. Le Mont Nali, siège du Palais des bégums c’est de ce point originel central de la cité et lieu de refuge maternel pour toutes les habitantes et voyageuses de passages en cas de gros temps sur mer comme sur terre que la Cité était née. Au centre le Mont Avé, la partie nouvelle de la ville y est sise. Les premières rondeurs des nouvelles coupoles s’élèvent sous le regard bienveillant des Matriarches. Enfin, à l’ouest, et même complètement à l’ouest parfois, bercé par un vent de candeur et d’insolence mêlés en tresse, se trouve le plus petit des Monts, le Nôn-Hôkh. Quartier populeux et plein de vie, c’est un joyeux désordre continuel, sarabande de falbalas en tous genres et pagaille irrévérencieuse qui oblige souvent la garde d’azur de la Bégum à venir cycliquement remettre de l’ordre dans ce joyeux capharnaüm.
Evabad, ville glorieuse, a pourtant une histoire tourmentée. Plusieurs fois détruite, plusieurs fois relevée. Gardant en mémoire l’inégalable et inébranlable modèle de splendeur, en regard duquel l’état présent de la ville ne manque pas d’arracher de nouveaux soupirs, à chaque mouvement d’étoile. L’Androcée du Mont Avé qui fut aux temps jadis le Palais du Grand Alexandre, n’est plus désormais, qu’un temple dévasté, un mur seul rappelle son emplacement, et là en silence viennent pleurer sur le dégel de tout un monde les Nalisataises qui viennent se lamenter aux terrasses des tavernes à l’heure du thé en croquant des gains de café torréfié en Habannie. La Bégum elle-même, belle et fière, serti de son sari de dignité et couronnée de ses blonds cheveux y passe furtivement à l’heure du chant des Earlgreys, sorte de créatures mi-héron mi-grue. Elle se sent, bien lasse, parfois, bien lâche, aussi, bien seule au fond, mais droite et noble elle ne laissera jamais s’échapper devant ses filles, devant son peuple, guère plus qu’une légère buée à la commissure de ses paupières. Ne cherchez pas sa peine, elle est bien trop profonde pour vous êtes accessible, aussi profonde que l’espoir qu’elle à de voir un jour se relever le temple, son temple.

à Nathalie, Eva et Eléonore

Un poème de Zéno Bianu !

Je commencerai par être
Un verbe
Sans limites
Un langage
Où rien ne serait dit
Mais tout pressenti
Dans le monde visible
Et nulle part ailleurs
Une croûte de pain
Qui dévore un dieu
Une élévation
Dans l’affection et le bruit neuf
Un miracle inouï
Sous le soleil de la conscience
Je commencerai par être
En devenant ce que je suis

Je commencerai par être
Un dispositif
D’émerveillement
Un voyage
au bout du possible
Vers
ce qui m’apprends
à mourir
la raison
la plus silencieuse
en moi-même
le loup
chaviré
d’une langue universelle
je commencerai par être
la voix d’une résonance

Je commencerai par être
Un souffle
D’année-lumière
Contre le vertige
De la tentation
Du malheur
Une anthologie
Des bouleversements
Un retour
De nuit blanche
Qui coule
Dans les veines
Une tendresse
Démesurée
Je commencerai par être
Au milieu de la poussière
Je commencerai par être
Un sourire blessé
Une fêlure
Centrale
Un tressaillement
Une souveraineté
Fluide
Tendue
La part donnée
Offerte
Au vide
Une salve
Dans l’imprévisible
Je commencerai par être
Avec la peau des dents

Je commencerai par être
Le refus
De rêver pareil
Du bureaucrate intérieur
Une exaltation sereine
Un visage
Qui se transforme
En tigre
A chaque émotion
Un visage sans visage
Qui accueille
Tous les visages
Au tremblement de ciel
Je commencerai par être
Jusqu’au paroxysme

Je commencerai par être
Mille kilomètres
De battements
De cœur
A la seconde
Ici-haut
Contre tous les robots
Couleur chair
Un saut
Dans la vie
Un saut
Dans le vide
Un saut
De lumière noire
Je commencerai par être
Une pulpe d’aimantation

Je commencerai par être

L'amour selon Schopenhauer

Schopenhauer où comment détruire l’Amour pour ne pas être détruit par lui.

L’Amour revient en philosophie :
Alors que dans la philosophie hellénistique l’Amour occupe une place centrale, il va disparaître durant une longue période sous l’influence du judéo-christianisme. Dieu seul devient sujet et digne d’un amour véritable. Le refus du corps qui apporte par le vice qui lui est inhérent la damnation de l’âme, relègue l’amour physique au rang de tentation démoniaque où dans le cadre exclusif du mariage un moyen utilitariste de perpétuer l’espèce.
Les philosophe, penseur, se détourne du thème en tant que tel, celui si étant même une pièce à charge contre le corps corrupteur.
C’est Schopenhauer qui va le remettre sur le métier philosophique. Alors qu’il voue une haine sans borne aux religions dont il pense qu’ « elles sont comme les vers luisants : pour briller, il leur faut de l'obscurité », au lieu de réhabiliter l’amour païen il va tout au contraire le mettre sur le même plan avec la ferme volonté de le rejeter et de le décrédibiliser. Pour, l’allemand : « Ni aimer, ni haïr, c'est la moitié de la sagesse humaine: ne rien dire et ne rien croire l'Autre moitié. Mais avec quel plaisir on tourne le dos à un monde qui exige une pareille sagesse. »
Dans Le Monde comme volonté et comme représentation, on peut lire, au début du chapitre consacré à la métaphysique de l’amour : « Aucun thème ne peut égaler celui-là en intérêt, parce qu’il concerne le bonheur et le malheur de l’espèce, et par suite se rapporte à tous les autres […] ».
« Au lieu de s’étonner, écrit Schopenhauer, qu’un philosophe aussi fasse sien pour une fois ce thème constant de tous les poètes, on devrait plutôt se montrer surpris de ce qu’un objet qui joue généralement un rôle si remarquable dans la vie humaine n’ait pour ainsi dire jamais été jusqu’ici pris en considération par les philosophes ».
L’importance de ce thème se comprend si l’on part de ceci que, pour Schopenhauer, la volonté constitue le fond des choses. Si le monde est l’objectivation de la volonté, si par lui, elle parvient à la connaissance de ce qu’elle veut, à savoir ce monde lui-même ou, aussi bien, la vie telle qu’elle s’y réalise, on admettra que volonté et vouloir-vivre sont une seule et même chose. « Vouloir c'est essentiellement souffrir, et comme vivre c'est vouloir, toute vie est par essence douleur. » Cette pensée cardinale pousse l’Homme vers le néant. Aimer, procréer c’est en fait transmettre la malédiction de la vie, son cortège de souffrance et de peine. Il faut rendre service à ses enfants en ne les enfantant pas. Il faut rendre service à l’Humanité en la laissant s’éteindre, s’abîmer dans le néant. «Notre état est si malheureux qu'un absolu non-être serait bien préférable. » Puisque la vie c’est un entre deux entre la non-existence et la mort et que cet entre deux est forcément douloureux, il faut éviter cela, il faut arrêter cela. Schopenhauer n’en fait pas mystère : « L'ascète est celui qui, par la suppression du vouloir, va jusqu'à la complète suppression du caractère de l'espèce. »
L’Amour coupable :
Or, l’amour est ce par quoi la vie apparaît ici-bas. De la vie, l’expérience nous enseigne qu’elle est essentiellement souffrance, violence, désespoir. Cette misère des êtres vivants, misère que la lucidité nous contraint à reconnaître, ne répond à aucun but final : originellement, la volonté est aveugle, sans repos, sans satisfaction possible.
Certes, la nature poursuit bien, en chaque espèce, un but, qui n’est autre que la conservation de celle-ci. Mais cette conservation, cette perpétuation, ne répond elle-même à aucune fin : chaque génération refera ce qu’a fait la précédente : elle aura faim, se nourrira, se reproduira. « Ainsi va le monde, résume Martial Guéroult, par la faim et par l’amour ». La seule chose qui règne, c’est le désir inextinguible de vivre à tout prix, l’amour aveugle de l’existence, sans représentation d’une quelconque finalité alors qu’en réalité « La vie est une affaire dont le revenu est loin de couvrir les frais ».
Ainsi, chez Schopenhauer, l’amour se présente d’abord comme cet élan aveugle qui conduit à perpétuer la souffrance en perpétuant l’espèce. L’acte générateur est le foyer du mal. Dans un entretien avec Challemel-Lacour, en 1859, Schopenhauer dit : « L'amour, c’est l’ennemi. Faites-en, si cela vous convient, un luxe et un passe-temps, traitez-le en artiste ; le Génie de l’espèce est un industriel qui ne veut que produire. Il n’a qu’une pensée, pensée positive et sans poésie, c’est la durée du genre humain. ». Céder à l’amour, c’est développer le malheur, vouer une infinité d’autres êtres à la misère. Ceci explique directement le sentiment de honte et de tristesse qui suit, chez l’espèce humaine, l’acte sexuel. Le thème de l’amour chez Schopenhauer est donc à mettre en rapport avec l’horreur devant la vie : il apparaît d’abord comme un objet d’effroi.
Le comportement des animaux et des hommes, qui sont les objectivations supérieures de la Volonté, est entièrement régi par cette souffrance, qui est perçue positivement. Les plaisirs ne sont que des illusions fugaces, des apaisements au creux des désirs et tracas ininterrompus. Ils n’apparaissent qu’en contraste avec un état de souffrance, et ne constituent pas une donnée réelle pour les êtres en mouvement. Le bonheur est un repos de l’esprit. Parce que tous les êtres souffrent, la souffrance est la vérité du monde, et la vérité de la condition humaine.
La passion amoureuse et l'inclination sexuelle :
La passion amoureuse et l’instinct sexuel, pour Schopenhauer, sont une seule et même chose. Ce sont les deux faces d’une même pièce avec laquelle l’homme joue depuis la nuit des temps une partie qu’il perd à coup sur puisque « La vie d'un homme n'est qu'une lutte pour l'existence avec la certitude d'être vaincu. »
À ceux qui sont dominés par cette passion, écrit-il, « Ma conception de l’amour (…) apparaîtra trop physique, trop matérielle, si métaphysique et transcendante qu’elle soit au fond ».
À l’opposition classique entre l’esprit et le corps, Schopenhauer substitue une opposition entre l’intellect et la volonté. Or il faut reconnaître, dans la sexualité, une expression du primat du vouloir-vivre sur l’intellect, primat qui implique que « les pensées nettement conscientes ne sont que la surface », l’intellect, et que nos pensées les plus profondes nous restent en partie obscures, quoiqu’elles soient, en réalité, plus déterminantes, plus fondamentales. Ces pensées profondes sont constituées par la volonté, et la volonté, comme vouloir-vivre, donc vouloir-se-reproduire, implique, en son essence, la sexualité.
En affirmant ainsi le caractère obscur pour la conscience des pensées liées à la sexualité, Schopenhauer esquisse une théorie d’un moi non-conscient – mais il ne s’agit pas encore d’une théorie de l’inconscient, au sens où l’entendra Freud. C’est à partir de ce fond non-conscient, c’est-à-dire à partir de la sexualité, qu’il faut comprendre l’existence, chez l’être humain, de l’intellect : « du point externe et physiologique, les parties génitales sont la racine, la tête le sommet ».
L’instinct sexuel est l’instinct fondamental, « l’appétit des appétits » : par lui, c’est l’espèce qui s’affirme par l’intermédiaire de l’individu, « il est le désir qui constitue l’être même de l’homme ». « L’instinct sexuel, écrit-il encore, est cause de la guerre et but de la paix : il est le fondement d’action sérieuse, objet de plaisanterie, source inépuisable de mot d’esprit, clé de toutes les allusions, explication de tout signe muet, de toute proposition non formulée, de tout regard furtif […] ; c’est que l’affaire principale de tous les hommes se traite en secret et s’enveloppe ostensiblement de la plus grande ignorance possible ». « L’homme est un instinct sexuel qui a pris corps ». C’est donc à partir de lui qu’il faut comprendre toute passion amoureuse. Tout amour cache, sous ses manifestations, des plus vulgaires aux plus sublimes, le même vouloir vivre, le même génie de l’espèce.
Pourtant, dira-t-on, n’y a-t-il pas, entre l’instinct sexuel et le sentiment amoureux, une différence essentielle, puisque le premier est susceptible d’être assouvi avec n’importe quel individu, tandis que le second se porte vers un individu en particulier ? Pour le philosophe le sentiment amoureux est un mirage, une vue de l’esprit ou pire un leurre. Il ravale le sentiment esthétique au rang de subterfuge grossier en déclarant que « la prétendue beauté des femmes est l'hameçon que nous présente la nature pour arriver à ses fins. »
La femme ne trouvera pas chez Schopenhauer la réhabilitation qu’elle aurait put espérer d’un post-chrétien. Si elle n’est pas Eve qui fait chasser Adam du Jardin d’Eden, elle n’en est pas moins conçue comme : « un animal aux cheveux longs et aux idées courtes. » Plus que de la misogynie, il s’agit sans doute plus chez Schopenhauer d’une vision lié à la malédiction de la maternité. Pour que le cycle de la souffrance de l’Homme cesse, l’espèce doit idéalement s’éteindre, or la femme, femelle reproductrice, est celle qui perpétue de génération le cycle de la vie. Et l’homme si intelligent soit-il est faible face à ses appâts, lui cède pour s’adonner à ce plaisir si peu rationnel et finalement, lui donne la seule chose qu’elle cherche la maternité. C’est-elle qui fait de animal métaphysique qu’est l’Homme qui seul s’interroge sur le sens de son existence, un cloporte, un insecte pareil à tous les autres, se reproduisant sans comprendre que s’élever c’est cesser d’obliger chaque génération à succéder en vain à une autre. L’Homme est alors comme « l'insecte qui meurt en automne est en soi, et d'après son essence, le même que celui qui éclôt au printemps. »
Quant à l’amour, ce n’est là encore qu’une drogue de l’esprit, qui s’il créait une addiction pour un être particulier voire unique n’en est que plus redoutable. La perdition chrétienne qui fustige le désir physique n’est rien face à la perdition absolue de l’amour pour l’autre. Il fait même de l’individualisation du choix amoureux le problème central de la psychologie amoureuse. Le choix des amants est la caractéristique essentielle de l’amour humain. Cela ne signifie pas, pour autant, qu'on ne peut pas expliquer ce choix par le génie de l’espèce. La préférence individuelle, et même la force de la passion, doivent se comprendre à partir de l’intérêt de l’espèce pour la composition de la génération future. « Toute inclination amoureuse (…) n’est (…) qu’un instinct sexuel plus nettement déterminé (…), plus individualisé ». « Que tel enfant déterminé soit procrée, voilà le but véritable, quoique ignoré des intéressés, de tout roman d’amour ». C’est dans l’acte générateur que se manifeste le plus directement, c’est-à-dire sans intervention de la connaissance, le vouloir-vivre.
L’Amour ainsi conçu est la fin de la liberté, l’aliénation la plus totale et d’une certaine façon bien pis que néant lui-même. Dans Parerga et Paralipomena ou les « Aphorismes sur la sagesse dans la vie », il nous livre même le fond de sa pensée sans fard : « On ne peut être vraiment soi qu'aussi longtemps qu'on est seul; qui n'aime donc pas la solitude n'aime pas la liberté, car on n'est libre qu'en étant seul ».
L’Amour manifestation de la domination ultime
L'individuation, notamment parce qu'elle comprend un processus de subordination, fonde une compréhension du monde dans lequel la volonté se nourrit d'elle-même. Il est important pour aborder la philosophie de Schopenhauer de bien distinguer le terme Volonté, qui désigne le concept central de sa philosophie, de la volonté dont nous pouvons parler tous les jours pour les actions à entreprendre. Le champ de la Volonté schopenhauerienne ne se limite pas au vivant, mais englobe tous les changements qui peuvent avoir lieu dans l'univers. La Volonté se trouve en effet confrontée à elle-même par l'intermédiaire des unités individuelles, tout en étant toujours une. Cette confrontation permanente est le monde dans lequel nous vivons. Nous autres humains sommes en effet en perpétuelle lutte les uns les autres, et en perpétuelle lutte contre ce qui exprime la Volonté par une branche autre que la nôtre. C'est cette lutte pour la vie qui engendre la souffrance qui ne cesse que momentanément, pour laisser la place à l'ennui.
La relation amoureuse, l’instinct sexuel qui en est à la fois l’outil et le commanditaire est le lieu d’exercice absolu, de ce choc des volontés. Il ne s’agit pas d’une guerre des sexes, mais plutôt de la malédiction de l’homme qui est ramener dans le sensible par la femme, ramener dans la vie par la volonté de cette dernière de donner la vie alors même que l’homme sait lui que la Mort seule triomphe. La femme être de vie, l’homme être métaphysique voué à la mort entre eux… le néant et le sexe pour tromper l’ennui. « La vie de l'homme oscille, comme un pendule, entre la douleur et l'ennui » prétend Schopenhauer. La femme en lui faisant croire que l’on peut tromper l’ennui le conduit à se tromper lui-même. La femme en lui faisant croire que de son ventre renaîtra la vie et viendra le plaisir ne fait que le tromper sur l’inéluctabilité de la Mort.
Selon Schopenhauer, le vrai triomphe de la volonté et de l’intellect sur le côté féminin qu’est l’instinct de reproduction passe par la destruction du mythe de l’Amour. La destruction de ce trompe-l’œil permet de remettre la sexualité à sa « vraie » place, un passe temps qui vous consume et vous leurre. Intégrer cela c’est se réaliser dans la plénitude de son humanité, c’est être capable d’y renoncer c’est être un être métaphysique, au sens littéral c'est-à-dire au-delà et par delà le physique. Ainsi l’homme domine sa matière, alors que la femme en est biologiquement et ataviquement esclave. La misogynie, n’est pas à la base de la pensée de Schopenhauer, elle en est la conséquence logique, elle réalise le paradigme absolu, le matérialisme (« Si la loi du matérialisme était la vraie loi, tout serait éclairci. Le pourquoi du phénomène serait ramené au comment. ») cède devant la métaphysique et l’Homme triomphe par le renoncement et dans le renoncement.